Sa voix résonnait comme un écho
lointain, étrange. Mais en même temps elle semblait être dans ma tête, sous mon
crâne, ayant transpercé ma toute fine peau. J’essayais, néanmoins, de ne pas faire
attention. Je m’étais souvenue de ma robe. Elle était très très jolie, ma
petite robe blanche. J’étais maintenant terrifiée à l’idée de l’avoir souillée.
J’aimais comment elle reflétait le soleil lorsque je tournais sur moi-même. Je
me demandai si elle le ferait toujours. La voix continuait à hurler.
Déconcertée, je me tournai vers Pauline cherchant une réponse, mais je ne
trouvai rien qu’un regard inexpressif. Ses yeux taisaient toujours quand il y
avait quelqu’un devant.
Depuis,
je ne peux plus m’habiller en blanc. Je le hais maintenant. Rien qu’une
étincelle blanchâtre suffit à me rappeler ce jour-là. Le jour où je la perdis.
Ma pauvre Pauline : ma seule amie. Je portais une robe d’un blanc
immaculé, ce ravissant jour d’été. Elle aussi. Maman me répétait souvent que je
ne devais pas aller jouer là-bas, aux bois. C’était dangereux : je pouvais
me salir. Je me suis répété à satiété que je ne voulais pas y aller, moi, que
ce fut Pau qui m’en convainquit. J’ai réussi à y croire à moitié.
Allongées
sur l’un des bords de la rivière, on s’amusait à regarder les nuages que l’on
apercevait entre la coupole des arbres. On jouait à discerner des formes
connues dans ces masses, aujourd’hui muettes et impénétrables. « Regarde! Elle a le même nez que Papa,
cette-là », lui dis-je, en montrant du doigt un nuage, je sais maintenant,
qu’il ne ressemblait à rien. « Mais non », me contredit Pauline, « on
dirait plutôt une hirondelle. Regarde les ailes, juste là, grandes ouvertes ».
Un œil fermé, elle aussi montrait du doigt ce qu’elle pensait être les ailes de
son oiseau imaginaire. «Tu es
nulle, tu ne sais pas jouer », fut ma réponse. Néanmoins, je suivis son
exemple, fermai l’œil droit, et suivis la trajectoire de son pâle et petit
annulaire. Une hirondelle me semblait beaucoup plus amusante que le profil
revêche et osseux de mon père.
Ennuyée
parce que je ne réussissais pas à la distinguer,
je plongeai farouchement dans l’étude des nuages restants. Je cherchais
férocement une image à laquelle m’accrocher, un oiseau de passage dont le dos
me serait offert et sur lequel je m’envolerais loin.
Je contemple depuis la fenêtre de ma
cellule l’immensité dressée sur moi. Camille, vous ne mangez toujours pas? Je
ne me retourne même pas : mon assiette intacte parle à ma place. Camille,
ne m’entendez-vous pas?
« Camille !
Camille ! » Un cri voulait me trouver, mais je me cachai, les
sourcils froncés, dans le bout de profondeur blanche et bleue que je voyais s’étendre
sur moi. « Camille ! T’es sourde ou quoi ? Vous
voyez ? Carrément à la masse. Je vous l’avais dit ». Lasse, je me
redressai sur mon coude et regardai sans voir la personne qui hurlait mon nom.
Ils étaient trois : mon cousin et deux de ses camarades. Ils étaient sales
et puaient la poussière. Je fis une grimace à cause de l’odeur qui m’agaçait les
narines.
Je pensai soudain à ma robe blanche. Nous
n’aurions pas dû nous allonger par terre. Je le sais maintenant. Ils s’en sont
bien occupés, tous, de que je l’apprenne. Vous savez », dit mon
cousin avec suffisance, « ma mère dit qu’elle est folle parce que mon
oncle l’a laissée trop libre ». Terrifiée, je cherchais de possibles
taches sur ma jolie robe. «C’est bon ! Tu peux quand même me regarder dans
les yeux quand je te parle ! »Toujours sous mon crâne. Elle ne me
laissait pas. «Fichez-nous la paix» « Nous ? Mais qu’est-ce qu’elle
nous raconte ? » « De toute façon, on ne te dérange pas,
non ? » dit l’un des amis de mon cousin, Virgile, lorsqu’il se
rapprocha, «on se demandait seulement si tu voulais venir faire un petit tour
avec nous». Ils rigolèrent. Encore
troublée par ma robe souillée, je réussis à répondre «non, on ne veut pas». Ils
eurent l’air étonné, et j’en profitai pour essayer de me faufiler entre eux.
Virgile me prit par le poignet et me poussa en arrière. En tentant de me
dessaisir, les yeux désorbités, je heurtai Pauline, qui n’avait même pas bougé pendant
tout ce temps. Elle perdit l’équilibre et glissa.
Avant
que je puisse comprendre ce qui se passait, elle était tombée dans les eaux de
la rivière, dont la force l’emmena. Voilà comment je la perdis. On la noya. Son
corps, mené par le courant, était entouré par la cruelle beauté de sa robe
blanche, trempée. Ce fut tout ce qu’on retrouva d’elle. Lorsque j’hurlais et je
me débattais, les coupables de ma perte se regardèrent entre eux, abasourdis,
en répétant « mais c’est juste une poupée… »